Un constat individuel en forme de constat à l’amiable

De Marilyn Perreault

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Tsé quand t’as eu un accrochage pis qu’y a pas eu de réel impact.
Ben tu remplis un constat à l’amiable.
Tu fais pas venir la police, tu remplis un constat à l’amiable.

Tsé quand c’est pas un assez gros accident ben fracassant qui a fait ben de l’éclat, assez pour que les autres automobilistes de l’autre côté de l’autoroute s’arrêtent pour voir s’il y a du sang.
Ben tu remplis un constat à l’amiable.

Tsé quand c’est pas un assez gros accident où il va falloir que tu refasses ta carrosserie au grand complet si tu veux pas que les autres aient peur de toi sur la route.
Ben tu remplis un constat à l’amiable.

Tsé quand ça a pas fait un carambolage impliquant au moins 100 ou 1000 voitures qui vont toutes avoir à refaire leur carrosserie au grand complet ou que leur vieille minoune soit considérée comme perte totale.
Ben tu remplis un constat à l’amiable.

Ben, après un an et demi de revendications au sein du F.E.T., je sens qu’on est encore à l’étape du constat à l’amiable, que l’impact n’a pas encore été assez grand pour qu’on ait à changer de char ou que ça coûte vraiment cher de refaire sa carrosserie parce qu’on discute encore si on aime ou pas la parité alors que le coeur du problème est qu’on fasse un virage à 180 degrés – désolée pour le mauvais jeu de mot, mais ça dit bien ce qu’il faudrait faire – qui se déploie avec des actions concrètes qui se reflètent pas seulement dans les programmations, mais aussi dans l’enseignement dans les écoles normales et professionnelles, dans les prix donnés aux artistes, etc.

Après un an et demi de revendications, on s’est frotté les uns aux autres, on a légèrement grafigné la voiture de papa, mais les impacts ne sont pas encore trop visibles, du moins pas encore dans toutes les programmations et sphères de notre travail. Pourtant, ça avance, on a annoncé avant-hier dans les médias que le Conseil des arts du Canada allait travailler sur le dossier de la parité, mais en revanche on a eu droit à au moins trois lancements de saison à faire brailler une vache espagnole qui ne sait même pas c’est quoi le féminisme. On a eu droit à des «ça va être plus visible l’année prochaine», on a eu droit à «on avait promis ça l’année passée en entrant en poste, mais on va le voir mieux dans le courant de notre mandat», on croirait entendre des politiciens en campagne électoral! Or, l’avenir semble toujours lumineux en campagne électorale, mais mon dieu que le paysage change une fois le politicien élu.

Tsé quand après un accrochage, tu te dis «ben non, j’irai pas à l’hôpital, j’ai pas mal, c’était juste un petit accrochage, mais que le lendemain tu te lèves avec deux cervicales débarquées de leur socle».

Tsé quand t’as un accrochage pis que les égratignures sont plus présentes sur TA carrosserie que sur l’autre voiture pis que tu pourras pas revendre ta voiture au prix que t’aurais voulu, pis que le constat est donc pas équitable pour les deux parties.

Tsé après un accrochage quand tu te dis «ben non, on fera pas venir la police, ça va prendre ben trop de temps, pis tsé c’est pas si pire ce que ça a fait à la voiture», ben c’est un peu l’effet que me fait cette année et demi de
revendications.

Ben oui, je crois qu’il va falloir qu’on fasse venir la police dans ce dossier, qu’on parle d’équitable, qu’on parle de paritaire, du moins pour les prochaines années pour que les femmes rentrent dans le système par une voie d’obligations jusqu’à ce que ce soit «normal» qu’on pense à elles à chaque fois qu’on prend une décision, à chaque fois qu’on fait un choix artistique qu’on se dise «est-ce que ça pourrait être une femme qui ait ça ce poste-là ou ce contrat-là même si d’habitude, c’est un homme qui fait ça».

Ben oui, il faudra qu’il y ait des sanctions pour les récalcitrants parce que même en sachant le problème, même en en ayant entendu parler sur un nombre incalculables de tribunes depuis un an et demi, on entend encore «oui, mais tsé le répertoire», «oui, mais tsé lui je le voulais dans ma programmation même s’il y a 15 femmes en ligne qui attendent», «oui, mais tsé ma grande salle n’est pas prête pour ce genre d’écriture, ce serait plus facile de la reléguer dans la petite salle», «oui, mais tsé l’excellence artistique qui doit prôner sur l’équitable».

Rappelez-vous qu’on «pensait» être un milieu progressiste jusqu’à ce qu’on voit les pourcentages…

Pour ceux à qui ça ferait peur la police, sachez que s’il y a police et cahiers de charge, il y a AUSSI – et c’est très important de le dire – des moyens mis à la disposition de ceux à qui on demande ce changement, chose qui n’existe manifestement pas encore. On ne peut pas se contenter de constat à l’amiable avec l’autre voiture, il faut aussi remplir les nids de poule qui ont peut-être produit un mauvais jugement, ou le panneau qui n’était
pas clair qui fait que vous avez coupé l’autre, peut-être que les lignes au sol étaient effacées par trop de tempêtes durant l’hiver, peut-être que la SAAQ lui a laissé son permis même s’il était trop vieux pour conduire, peut-être que le gouvernement n’a pas fait de règles suffisamment strictes concernant l’entretien des véhicules, etc.

Un constat à l’amiable, oui, OK, j’en parle depuis tantôt comme si c’était mièvre parce que ça n’a pas l’impact d’un accident qui va tout changer, mais dans «constat à l’amiable», il y a aussi «amiable». Avec ce mot, j’aimerais dire à l’ami avec un i que je ne suis pas en train de t’attaquer l’ami, on est tous dans le même bateau – ou la même voiture si t’aimes mieux – l’ami on a tous été éduqués dans à peu près le même système de valeurs et d’éducation qui fait en sorte de dicter telles choses aux filles et telles choses aux gars. L’ami, moi aussi, il m’arrive d’écouter plus l’homme qui parle dans la pièce que la femme qui est moins sûre d’elle, l’ami, je veux pas faire ce changement contre toi, mais AVEC toi. L’ami, je suis pas en train de vouloir voler une place qui a été instaurée par je ne sais trop quel système millénaire, l’ami je veux juste que mon travail ressemble à cette société qui change et où on veut plus de femmes en politique, plus de femmes dans les métiers non traditionnels, où on veut que les femmes disent tout haut quand ça marche pas, quand on empiète sur leur intimité et intégrité physique, sexuelle ou professionnelle. L’ami, je veux que tu prennes les enfants pendant que je vais finir au travail un peu plus tard que prévu, je veux que tu penses au souper, on se fait ça kif-kif. Tsé une journée, c’est toi, une journée, c’est moi. L’ami, on est dans une maudite belle époque où on se questionne sur qui on aime : la personne devant nous ou le sexe qu’elle représente. On est à une maudite belle époque où ça arrive des fois que c’est moi qui conduis la voiture et des fois c’est toi. C’est ça. C’est tout.