J’aime être sexy

PAR ELLISE BARBARA

Texte lu le 5 mai 2017, lors de la soirée d’ouverture du 16e Festival du Jamais Lu, Safe Space : Édith tient salon.

Quand les gens du festival m’ont demandé de m’exprimer à ce sujet, je ne savais pas si j’en avais envie, car je ne croyais pas à la base en la nécessité d’écrire un manifeste afin de me défendre de me vêtir d’une façon qui me rend à l’aise. J’aime porter les talons hauts, les shorts courts, les
crop tops, et les décolletés. J’aime les faux ongles, les faux cils, les faux cheveux et je sors rarement de chez moi sans être au moins un peu maquillée. Je ne suis évidemment pas d’avis que cette variété d’accessoires soient nécessaires pour toutes les personnes féminines. Mais puisqu’on m’accorde cette plateforme afin que je m’exprime sur les choses que j’aime, je ne vois pas pourquoi il faudrait que je me retienne. Je communiquerai donc des choses qui vont à l’encontre d’une certaine bonne pensée bourgeoise-bohème blanche du Plateau. On me dit que ce sont eux qui remplissent les salles de théâtre. Je suppose que certaines seront choqués par mes propos, mais après tout, ceci est un safe space, expression qui, j’ose le rappeler, fut initialement adoptée par des groupes de femmes universitaires noires afin de discuter de choses qui les concernaient sans être dérangées de façon incessante par les interventions non-renseignées de leurs collègues blanches.

Bien entendu,il est à noter que je suis du registre trans genre et que ma trans identité affecte sans doute la façon dont j’ai vécu ce que je raconte. Tout comme le fait que mes parents soient issus de façon directe de l’immigration. Il est aussi à noter qu’en dépit d’une certaine ambivalence et d’une hésitation certaine, j’ai fait plusieurs années en tant que garçon. Tout comme vous, je suis affectée par mes expériences identitaires. Ces dernières orientent la façon dont je perçois le monde.

Et c’est dans cette ligne de pensée que je considère qu’il est important que je m’affirme, même si le fait de vivre comme je l’entends est en soi un acte de résistance. Je reconnais toutefois le fait d’être influencée par les images que m’envoie le système qui j’admets, est violent envers les femmes, en créant des standards de beauté intouchables et en reproduisant des images de façon telle que ces mêmes standards deviennent vecteurs absolus de validité et de liberté féminine, desquels plusieurs femmes se sentent très exclues, voire même prisonnières. Mais, ne sommes-nous pas tous un peu prisonniers du système? Qu’on soit en accord ou en désaccord avec les images qu’il propose, nous
sommes tous dans la réaction. C’est à partir de là, c’est-à-dire dans le savoir, qu’on peut
réellement commencer à parler de choix. Je ne prétends pas tout comprendre mais c’est bien en connaissance de cause que le fait d’être sexy pour moi est un choix. Il m’arrive de me sentir emprisonnée par mes choix, dans la mesure où je sens que je dois être à la hauteur de la perception que les autres ont de moi. Mais je sais aussi que nombreuses femmes voulant se distancer de l’archétype judéo-chrétien de la prostituée, par peur d’affirmer leur valeur sexuelle, comme si cette dernière avait pour résultat d’annuler leur valeur morale ou intellectuelle, sont également prisonnières du système impérialiste patriarcal, qui insinue que la mère, la vierge et la prostituée constituent le triangle impossible de la féminité, alors que nous sommes des êtres complexes, dont les identités peuvent être difficilement décrites par une question à choix multiples. Il y a des moments où j’éprouve le besoin d’explorer la laideur par exemple, quitte à ce que ce soit dans mon
intimité, et je ne m’en empêche pas car c’est une des façons par lesquelles je retrouve mon équilibre, en temps que personne qui aime être belle en public. J’ose croire que tout le monde fait pareil – c’est-à-dire de trouver son équilibre. Même les hommes, qui eux aussi, sont prisonniers de leur image.

Au Québec, en temps normal, on se retient d’émettre ouvertement des commentaires désagréables dans la rue. Les gens sont plutôt discrets. D’ordinaire, si on m’insulte, je ne m’en rends pas compte.

C’est pourquoi je ne ressens pas le besoin de me défendre, à la base. Toutefois, je prends note de petits commentaires teintés de racisme ordinaire, que j’entends souvent dans les milieux blancs un peu branchés. Ces milieux férus de féminité blanche et bourgeoise dite “naturelle”. Les beautés du genre Charlotte Gainsbourg, Audrey Tautou, Marion Cotillard… On les connait toutes. Ces ingénues du style, pas trop vulgaires, pas trop cheap! On connait le discours. Plein d’assurance comme seuls les blancs peuvent en avoir puisque seuls eux représentent l’universalité, tout en faisant fi du passé honteux qui leur donne accès à ce sentiment d’omnipotence décisionnelle à savoir ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Je suppose que j’ai un look plutôt cheap, si on le compare au look désinvolte
de Charlotte. Mais je sais ce qui explique ce raisonnement arbitraire. Et ce n’est pas juste parce qu’elle est riche. Elle porte d’ailleurs plus souvent des vêtements ordinaires. On l’encense parce qu’elle est blanche, et issue d’une classe sociale privilégiée. Charlotte et les autres représentent
un chic blanc auquel la moyenne blanche aspire parce qu’elles sont cool! Elles sont hot! Ce sont les
it girls! Bien que soutenues par le même système qui nous propose J-Lo, Beyoncé, Nicki Minaj… Et ce n’est pas pour autant dire que toutes les femmes de couleurs adoptent des looks aussi sexy que ceux de J.Lo bien au contraire, mais le capitalisme blanc a toujours promu les femmes de couleur à condition que celles-ci se rendent disponibles en tant qu’objets sexuels comme si elles prenaient en
charge toutes ces tâches que les femmes blanches refusent d’effectuer. C’est donc par primitivisme que J.Lo et les autres semblent réussir et ce n’est pas un hasard qu’elles soient si célèbres.

Malgré tout ce racisme que je tente d’extérioriser au fur et à mesure que je l’intériorise, étant comme tout le monde exposée aux radiations médiatiques qu’émettent les puissants diffuseurs de culture, je comprends au final que le système est infiniment plus grand que moi. Il est certainement possible d’y résister, mais c’est pour moi un travail acharné, mieux réservé aux grands producteurs de culture.

En attendant, j’éprouve un grand plaisir à être une Barbie Doll, à l’image des poupées et princesses qui eurent une influence profonde, aussi négative soit-elle, sur mon développement pré-adolescent.

Je fais ce que je veux. Là se trouve une partie d’un empowerment qui, face aux langues mauvaises qui médisent mon apparence en me disant cheap (par classisme) ou ghetto (par racisme), sait que des propos pareils ne font que refléter la bêtise des gens qui les profèrent. Et en plus de faire ce que je veux, je sais que j’ai quelque chose qui éblouit et qui fascine. Mon corps m’appartient et je l’utilise comme je l’entend, tout en sachant qu’il me donne du pouvoir, à même titre que d’aut
res qualités qui m’habitent.

Je ne m’en gêne pas, j’aime que les hommes me fassent des compliments sur mon physique, parce que je suis attirée par les hommes. J’aime qu’un inconnu me complimente en passant car, étant une personne trans, ça me fait du bien, puisque ma féminité, donc une part (importante) de mon identité est autrement toujours remise en question.

Je n’y vois absolument rien de mal, considérant que plusieurs femmes trans n’ont pas ma chance et subissent des menaces et des injures si jugées comme n’étant pas assez féminines. Je n’y vois rien de mal considérant que les Noires furent jusqu’à récemment effacées par les médias prédicateurs de beauté féminine. Ce sont des violences que les femmes blanches cis genres minces ne sont pas en mesure de comprendre, donc d’interrompre. Que personne n’ose.

Merci