Le théâtre hors du Québec : Quelle vitalité, quelle originalité, quel dynamisme pour le théâtre qui s’écrit et se vit hors du Québec?

Le théâtre hors du Québec : Quelle vitalité, quelle originalité, quel dynamisme pour le théâtre qui s’écrit et se vit hors du Québec?

i 3 sept 2019 Pas de commentaires par

Un texte lu lors du Forum pancanadien organisé par le
Jamais Lu dans le cadre de sa 19e édition : Franchir les solitudes.

 

Je m’appelle Geneviève Pelletier et je suis la directrice artistique et générale du Théâtre Cercle Molière situé au coeur du pays, à Winnipeg au Manitoba. Le TCM est âgé de 94 saisons cette année, c’est le plus vieux théâtre avec une programmation continue au Canada. Je suis la cinquième directrice artistique depuis 1925, j’ai précédé à l’ancien directeur artistique, suite à ses 44 ans à la barre du TCM. J’ai récupéré un théâtre avec une majeur partie des abonnés dépassant les 60 ans, un rapport à la scène très traditionnel, où les saisons étaient majoritairement composées de pièces venant des répertoires français, québécois, américain et anglais avec quelques créations montées lorsqu’un auteur dramatique se présentait avec une oeuvre en main. Et en même temps avec une communauté qui change beaucoup une forte population de nouveaux arrivants, une nouvelle génération de métis qui s’activent de plus en plus. Mon travail dès mon entrée en poste est d’attiré au théâtre, les différents publics de notre communauté manitobaine (expliqué les différent publics- francophones, francophiles (immersion et apprenants) et anglophones), différencié les propositions artistiques et s’ouvrir au monde.

Je me retrouve dans la citation de Mary Lou Cook : « La créativité c’est inventer, expérimenter, grandir, prendre des risques, briser les règles, faire des erreurs et s’amuser. »

Depuis cinq saisons, nous ne faisons que ça « neuf créations » dont «deux créations en collaboration avec un des théâtres anglophones de Winnipeg, le Prairie Theatre Exchange, présentées sur nos deux scènes». On a mis sur pied une « Table de dramaturgie avec onze auteurs et autrices en herbe », une série de laboratoire « Démystifier les métiers du théâtre » puis des « des coproductions et collaborations nationales, comme le Wild West Show et Dehors » et « des collaborations internationales telles que Les allogènes et L’Armoire» et dont la prochaine tournée est prévue en France et au Maroc à l’automne 2019, j’ai eu la chance de voyager à Amsterdam, à Bucharest, à Ramallah, à Bethlehem, entres autre…

Notre position géographique aurait pu être faiblesse ou une excuse (je dis cela devant la plus grosse foule de théâtreux montréalais et croyez-moi c’est très impressionnant). Mais rester dans le confort d’entre soit c’est mourir lentement. Je ne crois qu’à la frontière qu’on s’impose. Aller à la rencontre de l’autre et des territoires c’est pouvoir déstabiliser ses certitudes ou de les renforcer.

Je vais vous dressez un portrait le plus fidèle possible du « théâtre hors Québec ». Premièrement, je voulais vous parler d’où je viens, ensuite je vais tenter d’arborer le territoire franco-canadien et je veux le faire avec beaucoup d’humilité, car le pays est immense et je ne veux pas prendre pour acquis ses spécificités, donc je tenterai de vous donner un portrait des plus fidèles avec mes yeux de métisse francophone du Manitoba.

Le Canada

Le territoire 

L’Association des théâtres francophones a des membres du Nouveau Brunswick jusqu’à la Colombie Britannique, des troupes qui majoritairement possèdent un lieu et une programmation surtout ancrée dans la création, le répertoire et l’accueil de spectacles, surtout issus de spectacles canadiens, mais parfois de l’international. Plusieurs travaillent de concert avec leurs homologues anglophones afin de départager les accueils (surtout les plus ambitieux) mais aussi des coproductions (comme c’est le cas chez nous, où une création est montée en une langue et repris dans l’autre dans nos théâtres respectifs). Plusieurs s’aventurent aussi dans des coproductions de créations avec des troupes franco canadiennes ou québécoises. Ceci n’est qu’une petite portion du « big picture » car plusieurs troupes sont sans infrastructures, à projet, qui sont membres et non-membres de l’ATFC et qui se manifestent de plus en plus à l’échelle du pays. Pour certains, tel le TCM, nous avons des mandats énormes, ce que le Conseil des Arts du Canada définit comme « catalyseur artistique » qui veut dire que nous gérons un lieu (pour un bon nombre d’entre nous) avons une série de théâtre en salle mais aussi, pour la plupart, une série jeunesse, des festivals, une école, une soirée de levée de fonds importantes, offrons de la formation- au TCM nous répertorions environ 250 évènements par saison. Nos budgets sont équilibrés par une facette importante de la subvention publique, mais beaucoup d’énergie est misé sur la commandite et la philanthropie et je dirais à l’échelle même du pays. Au TCM, notre pourcentage des fonds publics figure à 50% du budget global, 18% revenu du guichet et 32% de la levée de fonds, commandites et philanthropie. J’ajoute que depuis mon arrivée en 2012, les directions des compagnies ont radicalement changées.

Je soupçonne que je suis devenue une de plus anciennes à la barre ces jours-ci. De plus, nous sommes passés de directions majoritairement tenus par des hommes à une majorité de femmes, et j’ajoute, de jeunes femmes. Dans l’ouest, pendant au moins les trente dernières années, les positions n’étaient tenues que par des hommes. Nous sommes maintenant trois femmes et un homme. Ça change la dynamique autour de notre table de concertation des théâtres de l’ouest.

 Les régions 

Dans le cadre national, on répertorie trois régions, l’Ouest, l’Ontario et l’Acadie. (En écrivant ceci ça m’a fait tout drôle cette notion de régionalisme, mais je ne vais pas m’attarder à discuter de mes opinions sur les frontières que l’on s’impose, en tout cas, pas maintenant, peut-être plus tard, si ça vous tente de créer un mouvement, sans

frontières, on se rencontre après.) On pourrait aussi dire que les préoccupations de Vancouver sont autres que celles d’Edmonton, Saskatoon et Winnipeg. De plus, Sudbury, Toronto et Ottawa, sont trois territoires avec des réalités diverses l’une de l’autre. Et Caraquet et Moncton, ont, elles aussi, des réalités propres à leurs régions qu’on pourrait certainement s’apparenter au dynamisme qui se jouent dans la province du Québec, entre la métropole et ses régions.

Les théâtres et leurs régions 

Leurs préoccupations vues de mes yeux qui tentent de voir de leurs yeux.

Vancouver (Esther Duquette, La Seizième) a des publics qui sont majoritairement allogènes (provenant de partout sauf de là), elle programme beaucoup d’accueil québécois et la création s’active notamment avec la troupe de Gilles Poulin-Denis. Edmonton (Joëlle Préfontaine, l’Unithéâtre) tente vaillamment de faire de son milieu, un qui tourne autour de la création, tout comme Saskatoon (David Granger, Troupe du Jour) et Winnipeg. De plus nous tentons de mettre de l’avant la richesse des cultures issues de l’immigration et autochtones, métisses et inuites qui prennent d’assaut les communautés francophones par le biais de politique (ceci surtout dans le cas de l’immigration) favorisant l’agrandissement de l’espace francophone au Canada et le clash des démographies des francophonies historiques. En Ontario, le multiculturalisme de Toronto (Joël Beddows, Théâtre Français de Toronto), la diversité comme point de rencontre à Sudbury (Marie-Pierre Proulx, Théâtre du Nouvel-Ontario) (je suis dans un

mode réducteur, je vous l’avoue), la diversité des compagnies d’Ottawa (quatre troupes (Vox Théâtre sous la direction de Pier Rodier; Trillium avec Pierre-Antoine Lafond; La Vieille 17 avec Esther Beauchemin et La Catapulte avec Danielle Lessaux Farmer) sous le toit de la Nouvelle Scène Desjardins), rend son modèle unique au Canada français. Moncton, (L’Escaouette avec Marcia Babineau et Satellite Théâtre avec Marc-André Charron) une communauté qui change et Caraquet, (Théâtre Populaire d’Acadie, avec Alain Roy) une homogénéité prédominante. Le point rassembleur de tous et chacun est la création, comment elle met de l’avant la voix du territoire, comment elle se manifeste, qu’est-ce qu’elle tente de créer comme débat, comme question- La création comme source, à la base, la racine de toutes ses voix qui veulent crier qu’ils et elles existent.

Les enjeux

La réconciliation 

Il y a de ça environ trois ans, est paru dans le McClean, un article dénonçant Winnipeg comme étant la ville la plus raciste du Canada. La dame qui a fait cet énoncé a reçu non seulement énormément de critique mais aussi des menaces (tout pour renforcir encore plus l’affirmation). Toutefois, je suis assez convaincue que cette affirmation pourrait émaner de tout le territoire canadien, voir Nord-Américaine qui est encore au prise d’un système colonialiste où la majorité blanche se positionne dans des acquis et veulent rarement lâcher prise du pouvoir duquel ils se sont dotés. Je viens d’une des villes avec le pourcentage de peuples autochtones (ceci inclus métis et inuits) le plus haut au pays et qu’on prédit bientôt que la ville sera majoritairement autochtone, c’est un sujet incontournable. Et pour ne pas réduire en un paragraphe cet enjeu, s’en est un qui s’applique sur tous les territoires canadiens. Aujourd’hui, il est rare de parler réconciliation sans qu’appropriation ne s’ajoute à la conversation. Temps de rencontre important et essentiel et où le théâtre a une place de choix comme lieu de débat et de questionnement.

La diversité 

Tel qu’énoncé plus haut, les politiques gouvernementales entourant les espaces francophones au -delà du Québec font en sorte que dans l’espace de 10 ans, une concentration importante, on peut même énoncer une nouvelle nation métisse d’ici dix ans sur le territoire manitobain. Les écoles francophones de Winnipeg sont à environ 50 à 60% de populations migrantes et réfugiées. Et plus spécifiquement dans le cadre de la création- souvent dicté et mise en place par des voix blanches, avec des enjeux blancs et des habitudes blanches. C’est aussi un incontournable et où le théâtre a ici aussi une place de choix pour débats et questionnements.

Le rapport des langues 

Il est certain que mon rapport à la langue anglaise est tout autre. Je suis peut-être dénommée minoritaire mais je sais aussi que je suis très privilégiée d’affirmer que mon quotidien se compose à majoritaire en relation avec la langue française. Je ne suis pas complexée par l’anglophonie, je trouve que c’est une richesse mais avec mes enfants, c’est là que je vois toutes mes contradictions venir à la surface. Il faut quand même insister car la culture anglophone et j’ajoute américaine est une force incontournable, tant au niveau de son influence langagière mais dans les habitudes des publics par rapport aux thématiques, les formes même de la création. N’ayant pas une culture anglo manitobaine forte de sa voix (car là aussi l’enjeu des directions artistiques qui sont restées trop longtemps, qui changent toutes prochainement aussi) se fait sentir à plein nez. Il y a certainement l’espoir qu’une dramaturgie autochtone, métisse et j’ajouterais francophones viennent pallier ce manque.

Les démographies 

Tel un reflet de la société canadienne aujourd’hui, les publics au TCM (et je soupçonne à travers le pays, ici n’est pas exception) sont vieillissant, ils ont un sens d’appartenance accru, ils considèrent leurs acquis avec défensive. Ils et elles ont souvent la peur de l’autre, du changement. Ils souscrivent à une nostalgie. C’est à mon avis un des enjeux les plus criants, comment arriver, et ceci de façon gracieuse faire comprendre que c’est le temps pour une autre génération (multiple et diverse) de prendre cette place, de faire valoir ses voix et de se faire entendre.

 Conclusion 

Le territoire est vaste, riche de sa diversité. Mais des fois il fait peur. Des fois c’est plus facile d’aller à New York, Paris, Londres, Bruxelles ou se réfugier à Toronto, Ottawa, Montréal au Québec. Choses que je fais aussi mais je tente aussi d’aller rencontrer d’autres sources qui peuvent me nourrir.

Ne nous décevons pas, soyons riches les uns pour les autres. C’est là nôtre force, c’est là où on trouvera notre singularité.

Pour conclure, je vais vous raconter un conte qu’un ami marocain, ayant lu ce discours m’a partagé : un jour, un corbeau a vu marcher une colombe, il a adoré sa manière de se mouvoir. Et il décida de faire pareil mais malheureusement après plusieurs tentatives, il n’a pas réussi. En voulant revenir à sa démarche il n’a pas réussi non plus. Depuis ce jour il fait deux ou trois pas et il saute. Il ne sait plus comment marcher.

Si on ne pose pas des portes et des fenêtres à nos murs, on risque de n’être qu’une imitation de nous-mêmes.

Merci,

Geneviève Pelletier