Parle à ton voisin / Frannie Holder

Dear Frannie,

Frannie l’Américaine. Celle qui n’a jamais immigrée au Québec en ‘87. Qui connaît ni les hivers, ni la lange de Molière. Frannie, ma voisine du sud, ma jumelle trash. Enfant, t’as connu les trailer parks de Lafayette pis les foires à guns de la Louisiane. Moi, mon hang out, c’était les ruelles de St-Michel pis le Ardène de la place Versailles. Dans ton histoire, Mommy est tellement zélée qu’elle accepte l’alcoolisme paternel qui ravage le nid familial, la voiture, le cabanon avec la voiture, l’estime, l’amour, la sécurité. Mon histoire de Québécoise, elle, commence le jour où maman décide enfin de tout crisser là, à 38 ans, pour retourner au Québec qu’elle avait quitté 15 ans avant, avec ses 2 filles et surtout sans son mari. C’était l’énième lendemain de CATASTROPHE Budweiser. Le lendemain de trop. Et le moment précis donc, où on comprendra que « Daddy » ne deviendra jamais « Papa ».

Daddy – Papa
Gens du pays – God Bless America
Fresh Prince of Bel Air – Robin et Stella
St-Jean – Mardis Gras
Hurricane Katrina – La crise du verglas.
Québec – United States of America.

Si les mots changent, est-ce que l’essence reste la même ?
Quand on change de décor, que deviennent nos repères ?

Dear Frannie,

Frannie, l’Américaine. Décris-moi ton enfance sans les saisons. Sans le parfum ferreux d’une bordée de neige fraîchement déposée en janvier. L’odeur de ta propre haleine dans ton cache-cou en février. La sueur de tes mains d’enfant, sous des mitaines qui ont construit 100 balles de neige, 4 forts et 2 tunnels, surtout vers la fin du primaire, quand les tunnels, c’était rendu illégal. Le goût d’une mitaine dans ta gueule. Un chocolat chaud. Les narines qui collent en hiver, qui morvent au printemps. Tu comprends même pas le feeling jouissif de sentir de la marde de chien en mars et de te dire : « yes, enfin, ça dégèle ! » L’été passe tellement vite qu’il sent rien. Sauf vers la fin du mois d’août, quand la canicule rend l’air salé, comme si l’asphalte brûlant en avait sué une bonne shot en dessous de ses courses de Big Wheels.

Ta swomp – Mes lacs
Fake news become Facts
Miss America – Star Ac
Khadir – Barack
Guns and Terror – les hijabs de la CAQ

Si les mots changent, est-ce que l’essence reste la même ?
Et quand on change de décor, que deviennent nos repères ?

Dear Frannie,

Frannie, l’Américaine. Raconte-moi ton adolescence dans une Nation fière. In the « Land of the Free ». Où on n’a pas à soi-disant à se battre pour l’indépendance. Un vrai peuple de winners. Qui grave son histoire dans les montagnes et call shotgun à la lune. Pays fier et jeune, comme toi, et pourtant tellement malade. Schizophrène, psychopathe, gangréné, narcissique, mythomane et boulimique. Explique-moi comment on se construit dans une Nation qui se plait à détruire ? Décris-moi tes rîtes de passage que je connais qu’en films. Le tissu cheap de ta prom dress, pis le pauvre cavalier qui est venu te chercher au pied de ta porte ce soir-là. Chante-moi ton hymne, pis les cantiques de ta Sunday School. Invite-moi à ton Sweet Sixteen, pis potine-moi ton high school. Exprime-moi les remords qui te rongent chaque fois que t’es en amour, comme ton crush sur ta prof qui t’annonce la chute des deux tours. Le malaise dans ton cœur. Le malaise dans ton corps. C’est la puberté qui ressort. Tu gères mal tes règles pis chaque mois ça déborde. Aux nouvelles, une tuerie à l’école. Fak Grandad te donne ton premier gun. T’as 13 ans, t’es donc assez grande pour comprendre ses sages paroles : “Guns don’t kill people, People kill people”.

Bang bang – Pow Pow
You shot me down – T’es mort
J’ai construit des forts – You’re building a Wall
In the closet – Dans le placard
Born again – Je t’aime

Si les mots changent, est-ce que l’essence reste la même ?
Et quand on change de décor, que deviennent nos repères ?

Dear Frannie,

Frannie, l’Américaine. Parle-moi de la femme que tu es devenue. Si moi je suis athée, lesbienne, progressiste et artiste, toi, je t’imagine hétéro-mariée, proud to be American, fondamentalement Baptiste et deep down inside, pretty triste. Raconte-moi ton cœur, et la vie que tu lui as bâtie. L’armoire à gun, les paraboles et les murs derrière lesquels tu le ranges dans ton Amérique profonde. Au nom de qui, par peur de quoi ? AM radios, teachers and orange Presidents, pastors, preachers, even your grand-parents, have been telling you your entire life, that your heart was wrong. That your love was wrong. And that your thoughts were sins. Récite-moi les prières d’une conversion therapy qui corrigent les cœurs et chassent les envies. Présente-moi le moins pire des soldats qui deviendra ton mari, et confesse-moi ton avortement dans un monde qui est Pro-Vie. In the land of the Free right ? Free pour qui ?

Dear Frannie – Chère Frannie

Je connais l’importance du décor et de la langue sur un être qui se construit. Sur un « nous » qui cherche son sens. J’ai existé en plusieurs langues, mais jamais aussi pleinement qu’en l’absence de celles-ci. Un rire sincère, une mélodie qui perce le cœur, un corps qui vibre d’envie. Une œuvre qui émeut, un regard qui séduit.

Je connais l’importance du décor et de la langue sur mon cœur lorsqu’il aime. J’ai aimé en plusieurs langues, mais jamais aussi fort qu’avec un je t’aime. Un je t’aime sobre, doux, presque solennel tellement il est conscient de son affranchissement. Un je t’aime d’ici. Libre. Digne. Abandonné. Un je t’aime brûlant de simplicité. Juste parce qu’il a le droit d’exister.

Et toi, Frannie, tu n’existes peut-être pas, au sud de cette frontière bien réelle.Mais si jamais je perds de vue l’essence de l’enfant qui joue, de l’ado qui se construit et de cette femme qui aime, je chercherai ton trailer et t’écrirai à nouveau.

 

Photo : David Ospina